Emilie Reiss Physiotherapeute

« Entraîne-toi comme un homme! »

« Entraîne-toi comme un homme! » Plusieurs athlètes féminines ont déjà entendu cette phrase de la part de leur entourage, entre autre de leur entraîneur. Cette phrase, employée de façon à stimuler la femme athlète dans son entrainement, atteint-elle son but? Ou, au contraire, a-t-elle un effet pervers? Est-ce seulement possible pour une femme de s’entraîner comme un homme? D’abord, anatomiquement, les différences entre homme et femme ont une certaine influence. Entre autre, la largeur du bassin de la femme prédispose celle-ci à avoir un angle au genou défavorable. En effet, on voit davantage les genoux des femmes se rapprocher l’un de l’autre lors de divers mouvements tels que le squat, le lunge, le saut et son atterrissage. Ce phénomène est associé à une force moindre du quadriceps (le muscle de l’avant de la cuisse) et des rotateurs externes de la hanche (les fessiers). Cela favorise d’une part, les torsions au genou qui peuvent entraîner des déchirures ligamentaires et méniscales et, d’autre part, un mauvais alignement de la rotule, c’est-à-dire un syndrome fémoro-rotulien ou fémoro-patellaire. Ce syndrome peut ultimement mener à une luxation de la rotule. Ensuite, un facteur que l’on ne peut oublier : les fameuses hormones. Celles-ci ont un grand impact sur les capacités. La testostérone favorise la force, la puissance et la vitesse chez l’homme. Ceux-ci présentent une plus grande proportion de fibres musculaires à contraction rapide. Au contraire, les femmes présentent davantage de fibres à contraction lente, ce qui leur confère une meilleure résistance à la fatigue et une récupération plus rapide. Toutefois, le cycle menstruel fait fluctuer les taux d’hormones : le niveau d’œstrogène, plus élevé lors de l’ovulation et de la période prémenstruelle, influe sur plusieurs systèmes. L’œstrogène entraîne d’abord une plus grande laxité ligamentaire, prédisposant la femme aux entorses. Cela est particulièrement reconnu au niveau du genou : une plus grande proportion des déchirures du ligament croisé antérieur touche la femme (favorisée aussi par les faiblesses musculaires mentionnées plus tôt). Ensuite, les taux d’hormones influenceront beaucoup le contrôle neuromusculaire de la femme : celle-ci devra mettre davantage d’efforts pour développer un mouvement car l’œstrogène peut augmenter les débalancements musculaires et affecter différents aspects de notre capacité à percevoir, mémoriser et apprendre. Nul n’est besoin d’ajouter que cette hormone affecte, en plus, la vigilance et l’humeur. L’œstrogène est aussi impliquée dans les processus osseux : elle favorise la formation de l’os. Les femmes sont donc plus à risque de subir des fractures de stress, c’est-à-dire des lésions osseuses causées non pas par un traumatisme franc, mais par des micro-traumatismes. Pourquoi? D’abord, parce que leur masse osseuse est plus petite que celle des hommes, mais aussi parce qu’elles sont plus susceptibles de présenter la triade de l’athlète. La triade apparaît lorsque l’apport calorique est insuffisant par rapport aux besoins énergétiques et que le cycle menstruel est perturbé, provoquant ainsi une diminution de la concentration en œstrogène. Le métabolisme osseux est alors atteint. Ce type d’atteinte est surtout rencontré dans les sports où le poids doit être contrôlé comme par exemple dans les sports de combat, ou dans ceux où l’esthétisme est important, comme dans le patinage artistique ou la danse. Il va donc de soi que la femme percevra plusieurs changements lorsque surviendra la ménopause : une perte de masse musculaire et donc de force, une augmentation de la fatigue accompagnée de diminution de la mémoire et de la concentration, une diminution de masse osseuse, une prise de poids, de l’insomnie, et des douleurs. Sans parler des bouffées de chaleur. Évidemment, cela affectera la performance. Finalement, en regard des différences liées au sexe, le côté psychologique ne doit pas non plus être négligé : l’homme et la femme réagissent très différemment face au stress de performance. Classiquement, l’homme veut gagner, veut démontrer ses capacités en se comparant aux autres. Il accepte mieux l’anxiété. La femme pour sa part, est plutôt déstabilisée par les symptômes d’anxiété. Elle croit peu en la reproduction de performance, rien ne sert de lui rappeler ses succès antérieurs. Si, en entrainement, il faut privilégier un climat de motivation de l’égo chez l’homme, il faut plutôt motiver la femme par de la rétroaction positive axée sur la tâche. La façon de faire face à la douleur de l’entrainement, aux blessures et à la critique diffère aussi : les hommes seront plus analytiques, auront tendance à chercher l’information, la solution, à augmenter l’effort, modifier leur comportement; les femmes quant à elles laisseront plus de place aux émotions, utiliseront des stratégies de relaxation, d’acceptation, tenteront d’être positives par rapport à la situation. Le support social est primordial pour la femme. En regard de tout ceci, il appert plutôt farfelu de demander à une femme de s’entraîner comme un homme, non? En fait, de façon générale, cela aura tendance à diminuer leur performance, et ce, de 2 façons : soit la tâche semblera inaccessible, la femme craindra l’échec, cherchera à éviter la tâche, soit elle commencera à trop analyser, à être hyper conscientisée et cela lui fera perdre ses automatismes. Alors, laissons donc les femmes s’entraîner comme des femmes! Qu’en pensez-vous? Cette chronique est basée sur les conférences suivantes, présentées lors du congrès de l’association québécoise des médecins du sport du 31 mai 2015 « La Femme athlète » : – « Mars vs Vénus : l’entrainement et les blessures chez la femme athlète comparés à l’homme » par Rana Adada-Lamy, physiothérapeute et entraîneuse Pilates. – « Lésions du genou chez la femme athlète », Dre Marie-Ève Roger, orthopédiste. – « Psychologie de la femme athlète », Fabien Abejean, spécialiste en préparation mentale. – « Fracture de stress et métabolisme osseux chez la femme athlète », Dre Nathalie Alos, endocrinologue pédiatrique.